par Paul-Hubert des MESNARDS, président de l’UPR Créativité
UN DÉFI
Et si on organisait vraiment les services publics autour des besoins des citoyens ?
Au lieu de se livrer à l’absurde course à la réduction des effectifs si prisée depuis vingt ans par les hommes politiques en période électorale, où à la surenchère sur les demandes de moyens. On aurait peut-être des surprises : « Finalement cela ne coûte pas si cher compte tenu des services rendus ! »
Oui, mais comment s’y prendre ?
LA BELLE HISTOIRE
Une démarche existe et elle n’est pas nouvelle. Un de ses précurseurs fut Pierre Boulanger, patron de Citroën. Voici la mission qu’il avait confiée, en 1935, au directeur du bureau d’études :
« Faites étudier par vos services une voiture pouvant transporter deux cultivateurs en sabots, cinquante kilos de pommes de terre ou un tonnelet à une vitesse maximum de 60 km/h pour une consommation de trois litres aux cents.
La voiture devra pouvoir passer dans les plus mauvais chemins, pouvoir être conduite par une conductrice débutante et avoir un confort irréprochable.
Le point de vue esthétique n’a aucune importance.
Et le prix devra être inférieur au tiers de celui de la traction avant 11 CV. »
Il avait aussi spécifié le « confort irréprochable » en demandant qu’on puisse traverser un champ labouré avec un panier d’œufs sans les casser, et avait rajouté un critère d’accessibilité en demandant de pouvoir rentrer dans le véhicule sans enlever son chapeau.
Ce cahier des charges purement verbal, qui paraissait irréaliste voire farfelu, a pourtant lancé la création d’un voiture mythique : la 2 CV !
Or que nous dit ce cahier des charges ? Il ne parle que de services à rendre assortis de performances, pas de technique.
« A quoi ça sert ? » au lieu de « Comment c’est fait ? »
Aujourd’hui ce modèle d’expression de besoin porte le nom de « cahier des charges fonctionnel » : il présente des « fonctions », pas des solutions.
Oui, mais de quel besoin s’agit-il ?
En fait cette idée d’une toute petite voiture (T.P.V. sera son nom jusqu’en 1948, date à laquelle elle sera rebaptisée 2 CV) était venue à Pierre Boulanger alors qu’il faisait son marché à Lempdes, à dix kilomètres de Clermont-Ferrand. Tôt le matin, les paysans venaient en carriole à cheval pour vendre leurs produits. L’homme déposait sa femme et sa fille qui s’occupaient de l’étalage. Lui attendait patiemment (devinez où !) que midi se passe pour ramener toute sa petite famille à la ferme.
« Si ces agriculteurs possédaient une toute petite voiture que la femme puisse conduire, le paysan pourrait rester chez lui avec son cheval et s’occuper utilement aux travaux de la ferme », avait pensé Pierre Boulanger.
Et l’histoire ne s’arrête pas là. La première action menée pour ce projet fut de lancer une grande enquête auprès de plus de dix mille personnes à revenus modestes pour connaître leurs besoins de transport, permettant d’élargir la cible au-delà des paysans, et de formuler la raison d’être de la TPV : équiper les ménages les plus modestes d’un véhicule accessible.
Déjà on voit un enchaînement se dessiner : raison d’être à fonctions à solutions.
Justement, qu’en a-t-il été des solutions techniques ? La plus grande créativité a été déployée pour répondre aux exigences de prix et de poids (qui influe sur la consommation) : tout a été dimensionné au « juste nécessaire ». Les premiers prototypes n’avaient qu’un seul phare, pas de clignotants, pas de démarreur ni de radiateur ; en revanche la suspension a fait l’objet d’études très approfondies pour répondre à l’exigence de confort. En somme, le principe était : « mettre des moyens là où ça apporte de la valeur à l’utilisateur ». Et l’imagination a été au pouvoir : on avait même pensé à remplacer les veilleuses par des vers luisants et les catadioptres par des arêtes de poisson phosphorescentes !
Finalement, après un parcours mouvementé (il y eut la guerre) la 2 CV fut présentée au salon de l’auto de 1948 et ce fut une des plus belles réussites de l’histoire de l’automobile.
LES ENSEIGNEMENTS
Cette démarche qui a été suivie spontanément chez Citroën a été théorisée en 1947 aux Etats-Unis, à la General Electric sous le nom de « Value Analysis », traduit en français par « Analyse de la Valeur ». Elle peut être définie comme une démarche pour créer ou faire évoluer un produit, service, organisation (car elle ne s’applique pas qu’à l’industrie) afin de satisfaire au mieux les besoins des utilisateurs par un emploi optimisé des ressources. Elle s’appuie sur trois principes :
- Exprimer les besoins au strict nécessaire, en éliminant le superflu, en raisonnant fonctions et non solutions
- Élaborer la réponse aux besoins en éliminant tout ce qui n’apporte pas de la valeur ajoutée au client ou à l’utilisateur
- Travailler en équipe multidisciplinaire pour se poser en même temps les bonnes questions dans le cadre d’une démarche structurée : le « quoi » avant le « comment » et le « pour quoi » avant le « quoi »
Je l’ai pratiquée pendant 30 ans, dans tous les secteurs, en parallèle avec les actions de créativité, et j’ai pu constater son efficacité.
Alors, pourquoi n’est-elle pas plus souvent employée ? Je vois plusieurs raisons. D’abord des confusions autour de la dénomination « analyse de la valeur ». C’est ainsi qu’on m’a pris une fois pour un psychologue chargé d’« analyser la valeur des participants », une autre fois pour un analyste financier chargé d’ « analyser la valeur de l’entreprise en prévision de son rachat » ! Et puis la démarche, née dans l’industrie, souffre d’une image de « méthode d’ingénieur compliquée et lourde à mettre en œuvre ». Je peux témoigner que ce n’est pas le cas, ayant conçu, avec une amie enseignante, un cours d’analyse de la valeur pour des classes de sixième ! Il a y eu aussi des dérives vers le « cost killing » : réduction acharnée des coûts au détriment de la qualité de service. Il faut aussi tenir compte du fait que la méthode dérange car elle implique de fortes remises en cause de pratiques, d’habitudes. Enfin, last but not least, elle a plus de 70 ans ! A notre époque du culte de la « mode managériale » c’est rédhibitoire !
ALLONS PLUS LOIN
Et pourtant ! Rêvons ensemble d’appliquer cette démarche aux services publics, pour les mettre au cœur de l’innovation, c’est possible !
C’était la surprise du chef (ou plutôt du président de l’UPR Créativité) : Galilée.sp enrichit sa palette d’outils pouvant aider à la transformation des fonctions publiques : à côté du coaching et de la créativité, il y a maintenant l’analyse de la valeur !
Et si vous voulez en savoir plus, je peux vous recommander deux ouvrages publiés aux Editions Eyrolles : Réussir l’analyse des besoins, et Réussir l’analyse de la valeur. Je vous laisse deviner qui en est l’auteur !