Accompagner les innovations managériales et les transformations organisationnelles : une expérience à l’INRAE

L’invitée du 28 septembre 2021 : Inès Maranon, ingénieure de recherche et responsable du Pôle Management et Organisations de l’INRAE.


Titulaire d’un Master Business of coaching Mozaik International « l’Ecole du devenir » qui forme aux métiers du changement et du coaching professionnel, Inès Maranon pilote des projets de transformation RH complexes en mettant en œuvre des plans de développement des compétences et d’accompagnement du changement sur mesure.

Aux origines du Pôle management et organisation, en 2015, est une belle rencontre entre trois personnes ! Un DRH INRAE promoteur de l’accompagnement des transformations (lui-même formé au coaching), Marie-Yvonne Boscher, directrice d’unité INRA désormais retraitée et Inès Maranon coach certifiée.

Quel est le contexte RH de la recherche publique et donc de l’INRAE ?
Les moyens sont de plus en plus contraints dans un contexte d’open science très concurrentiel. De plus, les formes d’emplois public en recherche évoluent fortement (flexibilité accrue des formes d’emplois, l’impact du numérique, le travail à distance même avant la pandémie Covid19,).
Quels étaient les enjeux à relever avec la création du Pôle Management et Organisations (M&O)?
L’INRA a rédigé en 2015 un document de politique générale donnant principes d’organisation pour l’Institut. Le pôle M&O a reçu une lettre de mission déclinée du document d’orientation :
- Clarifier les responsabilités managériales, rendre visible la thématique du management et les valeurs partagées au sein de l’INRAE ;
- Accompagner les structures pour s’adapter aux évolutions du contexte et des pratiques de travail ;
- Assister la hiérarchie dans sa prise de décision en matière de politique de management et d’organisation.
Parmi les orientations stratégiques de l’INRAE (l’INRAE résulte de la fusion au 1er janvier 2020 des deux organismes de recherche, l’INRA et l’IRSTEA), celles auxquelles le Pôle M&O doit notamment directement contribuer est de créer une organisation efficiente, agile et résiliente pour anticiper et accompagner les évolutions de l’organisation du travail en recherche !

La mission du Pôle Management et Organisations (M&O) une dynamique d’organisation apprenante !
A de rares exceptions, les chercheurs malgré leur haut niveau d’étude n’ont pas reçu lors de leur formation initiale d’enseignements en management. Etre directeur d’une unité de recherche, s’inscrit comme une mission temporaire mal prise en compte dans la carrière plus académique d’un chercheur (mandat de 5 ans).
Pourtant, piloter et coordonner un collectif de recherche est un enjeu primordial. L’implication managériale et beaucoup de chercheurs prennent cette responsabilité pour « rendre service » au collectif. Pour les soutenir, le pôle Management et organisations (M&O) se propose d’accompagner l’émergence d’une réflexion collective pour et par les managers sur leurs pratiques de management ET en même temps d’accompagner la transformation des organisations sur mesure afin d’impulser une dynamique d’organisation apprenante.
En développant l’innovation INRAE cherche ainsi à garantir un cadre de travail de qualité pour une recherche publique performante répondant aux enjeux politiques et aux demandes sociétales à venir dans son domaine de recherche.

Pour travailler au cœur de cette complexité, le Pôle Management et Organisations M&O est construit comme un lieu de rencontre d’une mosaïque de compétences.
Le pôle est fondé sur la notion de rencontre et d’intelligence collective. Ces dispositifs sont des lieux d’échanges de pratiques et de confrontation d’opinions entre des directeurs d’unité, des experts RH, des coachs, des agents des collectifs de travail…
L’équipe nationale (cible de 8 personnes à temps plein et 12 consultants à temps partiel) incarne l’axe politique de la feuille de route de la DRHDD, centrée d’une part, sur l’accompagnement des managers et de leurs collectifs, et d’autre part, sur la professionnalisation des compétences d’accompagnement managérial au sein de l’Institut.
Au sein du pôle, les personnes ont des parcours professionnels et des compétences multiples (managers formés la psychosociologie, RH et ingénieur pédagogique ou managers formé au coaching, …). Elles travaillent ensemble de façon systémique sur trois champs d’action complémentaire :
- Le développement des compétences en management avec des plans de développement des compétences des managers pluriannuels,
- L’accompagnement des transformations avec deux réseaux de consultants internes (à 20% de leur temps sur des missions d’accompagnement) : un réseau de consultants internes composé d’anciens directeurs d’unités propose des accompagnements individualisés et un réseau de consultants internes auprès des collectifs d’unité constitué d’experts RH (formés au coaching, la créativité, la facilitation…). Implantés dans plusieurs régions, puisque INRAE a 19 sites en France, ils viennent renforcer les compétences d’accompagnement RH déjà présent au niveau territorial (RH, formation, orientation professionnelle…),
- L’innovation managériale et organisationnelle autour de l’étude des signaux, l’analyse prospective partagée qui propose une démarche pour anticiper les disruptions et permet d’adapter l’offre de service du pôle M&O aux attentes avec des managers et des collectifs de façon itératives et permanente.
Une offre de service interne innovante est structurée. Décrivons par exemple le parcours de développement des compétences des managers en 7 points
Le plan de développement des compétences des managers est une démarche composée de plusieurs étapes co-construites et complémentaires :
- Une « revue » managériale avec la hiérarchie qui permet de faire un état des lieux des compétences et profils managériaux en temps réel ;
- Un référentiel des compétences managériales dont les mots clefs sont des valeurs. Ce référentiel s’est inspiré d’autres existants dans la fonction publique) ;
- La parution de guides et des fiches pratiques en rapport avec le référentiel managérial et les retours d’expérience sur les dispositifs ;
- Des séminaires annuels proposés pendant les 5 années d’exercice du mandat managérial aux directeurs d’unités de recherche (de la prise de fonction jusqu’à la préparation du bilan de fin de mandat) ;
- Une offre de service sur mesure à la demande d’accompagnement individuel et/ou accompagnement d’équipes ;
- Des espaces collaboratifs entre pairs pour capitaliser sur les apprentissages et partager des retours d’expériences ;
- Des formations de spécialité en complément d’un site e-learning et de forums.
Cette démarche est proposée en 2021 aux « encadrants de proximité » (responsables d’équipe de laboratoire ou de services administratif ou de cultures expérimentales …) 400 encadrants de proximité ont déjà choisi de s’y inscrire en un mois ! Merci !

L’intervention et la consultance interne « un espace de travail collaboratif de transformation » à instituer dans l’institution?
INRAE, institution publique, est pris dans un double mouvement : des habitudes de travail bureaucratiques gestionnaires contraignantes et une volonté de créer des dynamiques de transformations apprenantes. A cela s’ajoute le rythme soutenu des réformes institutionnelles et l’impact des nouvelles technologies qui exercent une pression constante l’identité professionnelle et sur les compétences des personnes.
Mettre en place une organisation apprenante dans une administration publique nécessite de concilier des approches parfois incompatibles entre termes rythme de travail ou de libertés d’initiative dans un univers souvent processé voir procédural. Comment combiner les représentations entre démarches qualités ou scientifiques « rigoureuses », démarches administratives et démarches d’accompagnement réflexives plus intuitives ?
L’organisation apprenante est, selon Inès Maranon, un modèle extrêmement puissant pour un institut de recherche publique car il propose « espaces de réflexion » aux personnes des « espaces de parole et de confrontation d’idées » générateurs d’ouverture, d’inclusion et de motivation. Cependant, le soutenir des dynamiques de co-construction spontanée, d’espaces d’échange décalés (« non soumis à des résultats immédiats») est essentiel pour renforcer l’efficience du travail humain et des modes d’apprentissage collectif. Cette attention portée à l’intuition, la confiance, la curiosité ….
Proposer des « design » d’accompagnement de ce type permet de mieux faire face aux enjeux d’évolution, de créer des mécanismes adaptatifs face aux changements devenus permanents.
Mais, l’apprenante expose aussi à de nouveaux inconforts :
- Anticiper c’est aussi s’exposer à une remise en cause car c’est se confronter à ses limites. Cela peut bouleverser les usages. Peut-on maintenir une certaine stabilité de travail dans le mouvement du changement ? ;
- Comment « créer des espaces de liberté » déstructurant car ils font surgir des mécanismes de régulation différents … sans trop les « institutionnaliser » en allant à « contre-culture » sans déstabiliser nos administrations ?
- Les nouveaux leaders sont inspirants mais ils ne sont pas « leader à vie » : ils donnent la direction, ils assument la responsabilité qu’un temps, ils inspirent l’équipe avec laquelle ils travaillent… mais jusqu’où les collaborateurs peuvent-ils endosser de nouvelles responsabilités en termes de contrat de travail ?
- La culture « a-managériale » est-elle vraiment l’avenir ? Y a-t-il une forte aspiration des jeunes ingénieurs en formation ?
Mettre en œuvre des démarches collaboratives et apprenantes n’est pas si simple que cela… Elles nécessitent un état d’esprit, une posture distanciée et des compétences spécifiques. Elles demandent un haut niveau de professionnalisme de l’ensemble des acteurs pour mieux avancer sereinement et collectivement.
Quels sont les premiers effets de l’accompagnement des managers et des organisations ?
Après 5 années de travail collaboratif avec les managers et les experts RH, les résultats sont assez convaincants. Une charte d’accompagnement du changement est éditée qui pose des principes de fonctionnement partagés., de articles publiés… Les dispositifs plébiscités (76% des 3000 managers sont formés et accompagnés, une 100 aine de collectifs soutenus) montrent à la fois l’importance des besoins des managers et l’efficience des dispositifs co-construis et co-animés par le Pôle M&O.
Afin de poursuivre cette démarche de partage, le Pôle M&O souhaite créer des liens avec les équipes d’accompagnement qui émergent dans les autres EPST (Etablissements publics scientifiques et techniques). La recherche française a beaucoup à gagner de la mise en réseau de ce type d’accompagnement interne, des compétentes développées et expériences développées par chacun.
Y a-t-il une marque de fabrique du Pôle management et organisation ?

Oui, peut-être… L’accompagnement M&O est inscrit dans l’ADN de la culture de recherche INRAE. Il est créateur d’une dynamique d’apprentissage collective tournée vers l’étude du vivant. Ces fondateurs ont voulu créer des démarches d’accompagnement centré sur l’humain, la solidarité et l’intelligence collective. Il propose un processus de co-création, de mise en distance réflexive qui offre la possibilité de s’interroger sur les postures, les processus de travail et la qualité des liens professionnels entre les individus dans leur environnement de travail. L’objectif est d’oser co-construire ensemble de nouvelles formes d’organisation du travail et d’engager nos institutions vers la construction d’une science plus responsable et citoyenne.
Pour continuer le voyage dans la cosmologie d’une action et d’une recherche publiques en transformation, Inès Maranon nous ouvre des pistes de lecture et de découverte.


Cécile Dejoux, professeur des universités au CNAM (Chaire « Futur du travail et de l’apprendre »), y dirige de Laboratoire d’apprentissage « Human change ».
Actualité 2022 : Cécile Dejoux crée sur FUN (France université numérique) un Certificat du CNAM en formule 100% à distance « Devenir acteur des transformations » (180 heures, Utilisation possible du CPF).
Jacques Testart, agronome etbiologiste, docteur en sciences et directeur de recherches honoraire à l’INSERM, a permis la naissance du premier bébé éprouvette en France en 1982. Il se qualifie de « critique des sciences » comme d’autres sont critiques artistiques ou gastronomiques.

Président d’honneur de l’association Fondation Sciences Citoyennes, il appelle à une « science citoyenne », indiquant qu’il faut « refonder notre système de recherche autour d’un nouveau contrat entre science et société, de nouvelles missions et orientations de la recherche et d’une alliance forte entre les acteurs de la recherche publique et la société civile, porteuse d’intérêts non marchands ». Chercheur engagé, il a toujours été soucieux de prendre du recul et de se donner le temps de la réflexion devant les développements effrénés de la science et de la technique.
Citoyen vigilant, préoccupé des dérives de nos sociétés, il s’affirme le défenseur têtu « d’une science contenue dans les limites de la dignité humaine » et de la démocratie réelle.

Membre de l’Académie des technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches (HDR) en Sciences Humaines cliniques, Membre du Conseil Scientifique du Centre de recherches Psychanalyse, Médecine et Société (CRPMS, EAD N°3522), Université Paris VII Denis Diderot, Serge Tisseron est un spécialiste de l’Intelligence artificielle (IA).
Plus de la moitié de ses contributions portent sur nos relations aux objets technologiques, notamment ceux dont l’interface utilise un écran. L’enjeu est de créer une Intelligence artificielle (IA) au service de l’humain (et pas l’inverse !).
Il a été corédacteur de l’avis de l’Académie des sciences « L’Enfant et les écrans » (2013).
Les débats contradictoires sont devenus incontournables dans les formes nouvelles de consultation et de concertation (Forums, Ateliers participatifs, Groupes d’analyses de pratiques, etc..).
Comment animer les débats entre des positions qui apparaissent contradictoires ? Comment manager la connaissance en pleine évolution et comment mobiliser les ressources ouvertes ? Comment détecter les fake-news et comment y faire face ? Comment inclure des débats contradictoires au service de l’innovation ? Comment réguler avec éthique la parole et les effets émotionnels ? Y-a-t-il un art de se poser les bonnes questions ?
