Emmanuelle Duez était l’invitée du petit déjeuner du 19 septembre dernier organisé par les responsables de l’UPR (Unité de Partenariat et de Recherche) « Numérique », Anne-Marie Courage et Yannick Girault.
Nouveaux paramètres, nouveaux paradigmes ?
Après quelques mots d’accueil de Yannick Girault, Rapporteur de cette UPR, la présentation de Galilée.sp par le Président Gilbert Deleuil et un tour de table des participants, Anne-Marie Courage, Présidente de l’UPR « Numérique » a rappelé que cette unité est composée de cadres issus de différents ministères et du secteur privé et que la réflexion menée porte sur la place du numérique au sein des administrations (périmètres, frontières…) avec l’idée de ne laisser personne sur le bord du chemin. Dans ce cadre, un partenariat a été établi avec l’école des métiers de l’internet et a débouché sur la création par ses étudiants d’un prototype de mentorat inversé.
Le numérique n’en finit pas de transformer notre rapport au temps, à l’espace, il change nos rapports sociaux et ouvre des horizons et des opportunités insoupçonnés… Galilée.sp souhaitait pouvoir faire le point sur ces enjeux avec Emmanuelle Duez, « start’uppeuse » trentenaire – mais pas que – et ardente militante du combat féministe.
Acte I : le féminisme selon Emmanuelle Duez « digital-native » et entrepreneure issue de la génération « Y »
Le premier sujet abordé par l’invitée de ce petit déjeuner est celui du combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes, un sujet toujours d’actualité malgré les luttes menées depuis tant de décennies.
Après des études de droit et Sciences Po Paris, et un passage en cabinet ministériel, Emmanuelle Duez a enchaîné sur un MBA à l’ESSEC avec l’idée, pour impacter « le monde qui est le sien » (sic) de créer une entreprise. Finalement, une association et une entreprise verront le jour : WoMen’up et The Boson project.
Le but de WoMen’Up est de faire progresser de manière significative les idées d’égalité et de mixité, dans des entreprises où les femmes « partners » (associées) restent particulièrement minoritaires, pour apporter des solutions au phénomène de « décrochage » entre les carrières au masculin et les carrières au féminin et pour tenter d’apporter un démenti aux travaux de l’OCDE selon lesquels 140 ans seraient encore nécessaires pour atteindre une égalité « naturelle » entre femmes et hommes !
Comment en finir avec le « plafond de verre » ? Comment en finir avec l’auto-censure que s’infligent encore trop souvent les femmes ? Comment en finir avec cette croyance selon laquelle être compétente serait suffisant ? Comment concilier les différentes facettes de la vie des femmes (vie professionnelle, personnelle, familiale…) Comment faire en sorte que l’entreprise leur permette d’être tout cela à la fois ? Comment concilier flexibilité et méritocratie ?
Le monde digital qui fait cohabiter des facettes de vies différentes pourrait-il offrir des réponses à toutes ces questions ? Sans doute, mais en passant alors par des réflexions et des actions axées sur la mixité en relation étroite avec le thème de la génération « Y », ainsi que l’indique le site WoMen’up : « Depuis plusieurs années, WoMen’Up consolide la vision d’une nouvelle génération de femmes et d’hommes porteurs de changements majeurs sur les sujets liés à la mixité. Au coeur de nos convictions : la volonté de bousculer les codes et d’inventer le monde de demain, un monde débarrassé des stéréotypes de genre ».
Genre et génération
Du coup, l’irruption d’une problématique générationnelle change l’angle d’attaque pour mener à bien ce combat pour l’égalité au sein de l’entreprise : les jeunes et les femmes luttent sur un même front pour faire valoir leurs talents et leurs compétences et faire comprendre aux patrons que les temps et les modèles du type « marche ou crève » ont changé. Les patrons « ancienne formule » n’attirent plus les meilleurs, n’arrivent pas à les garder. Ne restent que ceux qui ne peuvent pas partir, d’où un appauvrissement du « business model » et en parallèle la nécessité d’une approche transversale, de regards croisés pour une réelle compréhension des impacts de cette révolution culturelle sur les sujets de genre et de génération.
La révolution « Y Generation »
L’association WoMen’up diligente alors une enquête pour mieux comprendre les ressorts d’une révolution qui dépasse les frontières du monde occidental : « A travers les 1011 témoignages de 64 pays, on y découvre des Yers à la recherche d’équilibre et d’épanouissement, qui veulent remettre l’humain au coeur des entreprises et qui réconcilient hommes et femmes autour de valeurs communes ».
Du « Worklife balance »… (de la conciliation vie professionnelle/vie privée)
Pour la « Y generation », le concept de « worklife balance » est dépassé ; désormais, les jeunes revendiquent de pouvoir travailler « où ils veulent, quand ils veulent à partir du moment où les objectifs sont atteints », ce qui implique un changement de paradigme et une révolution managériale complexe : on manage d’abord par la confiance, et ensuite par le contrôle, c’est-à-dire à l’opposé de ce qui s’est fait au cours des 30 dernières années. Dans ce nouveau schéma, l’espace-temps est bousculé, bouleversé. La confiance devient le maître mot.
… Au « Life fulfillment » (à l’épanouissement… tout court !)
Pour cette génération « façonnée » par le digital, on peut réussir sa vie au sein d’entreprises porteuses de sens, qui sont comme des « territoires d’épanouissement ». Ceci induit une exigence vis-à-vis de l’entreprise qui doit concourir au développement de l’homme ou de la femme qui y travaille. Des concepts tels qu’engagement, sens, reconnaissance, authenticité, épanouissement prennent alors tout leur sens.
D’un point de vue sociologique, cette enquête a aussi montré que sous l’impact du numérique, on avait affaire à une génération « mondialisée » avec des aspirations et des « modes de fonctionnement » très semblables.
Reste alors à convaincre certains décideurs publics et privés de changer leur regard sur le sujet de la diversité en montrant que ce n’est que le début du chemin et qu’au travers de ce sujet particulier, une révolution du monde de l’entreprise est en marche.
Le retentissement médiatique de cette enquête, l’invitation à des forums tels Davos, une intervention à Johannesburg devant 3000 chefs d’entreprise en présence de Kofi Annan, Desmond Tutu et Richard Branson ont permis à Emmanuelle Duez de prendre conscience qu’au-delà de la question de la diversité s’étendaient de nombreux « territoires » à explorer…
Des auteurs tels que Edgar Morin, Michel Serres, Michel Maffesoli, Daniel Cohen confirment Emmanuelle Duez dans l’idée qu’on assiste (et qu’on participe) à une transformation sociétale, globale, qui vient percuter non seulement l’entreprise, mais aussi l’Etat-nation, le syndicalisme, l’éducation nationale…
Analyser cette génération Y, c’est comme regarder dans une lunette le monde de demain, c’est avoir un laboratoire expérimental vivant de toutes les transformations qui parcourent la société et de faire des hypothèses, de projeter des scenarii sur le monde de demain.
Acte II The Boson project : révolution numérique, révolution anthropologique
Il y a 4 ans, naissait cette entreprise dont le nom nécessite quelques éclaircissements. Le site internet du Boson project fournit les réponses :
« Le Boson, particule élémentaire de l’univers, présente trois caractéristiques : il n’est rien à lui seul, en dessous de lui rien n’existe et c’est à partir de lui que tout se crée.
Les individus, qu’ils soient clients, consommateurs, collaborateurs, actionnaires ou citoyens, sont autant de particules élémentaires de l’entreprise, à partir desquelles tout se crée, en dessous desquels il n’y a rien, et qui ne génèrent de la valeur humaine et économique que par leur interaction avec autrui. Ces bosons sont à l’origine du capital humain, actif stratégique de l’entreprise.
The Boson Project est un laboratoire de développement du capital humain.
La page d’accueil du site internet du Boson project, quant à elle, renseigne clairement sur les objectifs qu’Emmanuelle Duez et son équipe se sont fixés :
Le projet humaniste de Boson project au cœur des mutations…
L’équipe d’Emmanuelle Duez est pluridisciplinaire et les gens qui la composent sont des « militants de l’Humain » (sic). Au travers de l’observation de l’Humain à l’intérieur de l’entreprise, le projet tente de dessiner le monde de demain. Et ce avec une vocation politique affirmée qui consiste à « réembarquer le capital humain » dans des entreprises qui doivent se réinventer en visant la transformation de ces hommes et des ces femmes en acteurs, en citoyens responsables capables de proposer une manière alternative de penser, de construire, de consolider nos sociétés post-modernes.
Il s’agit là d’une révolution totale, de nature anthropologique qui va bien au-delà du facteur digital…
Faisant référence à Michel Serres et à son livre « Petite Poucette », Emmanuelle Duez indique que ce n’est pas le climat qui change, ni la technologie, ni nos sociétés… Mais nous qui mutons !
Elle évoque également Jean-Paul Gaillard, thérapeute systémicien et psychanalyste qui a passé 30 ans à observer des enfants et des adolescents « bizarres », auteur d’un livre intitulé « Enfants et adolescents en mutation » dont elle cite le passage suivant : « Nous manquons cruellement d’un regard qui nous permette de nous arracher à la fascination de la ruine de ce monde qui est le nôtre et au refus des changements que nous savons cependant inévitables. Nous manquons d’un regard qui nous permette d’accompagner ces hommes nouveaux qui sont nos enfants mutants vers le monde émergent».
« L’envie du monde de demain »…
Le Boson project, utilise le levier de la jeune génération dans l’entreprise pour essayer d’éveiller les consciences sur ce qui est en train de se passer. Les managers ou les leaders qui ont des enfants perçoivent bien ces mutations et ont envie de s’inscrire dans le monde de demain. A l’opposé, certains sont très inquiets de ces transformations sociétales qu’ils ont du mal à comprendre, à formaliser et sont de ce fait en rejet total.
Certaines entreprises continuent de fonctionner selon des modèles « top/down », en silo, dans lequel tout potentiel de transformation est étouffé.
Les entreprises qui se transforment sont celles au sein desquelles il y a la bienveillance, la culture de la transmission intergénérationnelle, et où on accepte de transversaliser les rapports entre générations pour permettre cette mutation globale.
Ce que l’on observe et qui est plutôt encourageant, c’est que ces transformations, ces mutations profondes sont « portées » de manière transgénérationnelle et qu’on est en capacité de surmonter bon nombre des fractures existantes au sein de notre société, de notre modèle social français. Mais pour cela, avoir envie de comprendre est indispensable.
Demain sera-t-il pire ou meilleur qu’aujourd’hui ? Pour Emmanuelle Duez, demain sera DIFFERENT. Il faut informer et former pour résorber les fractures, réussir à « embarquer » tout le monde pour comprendre les complexités du monde d’aujourd’hui, dépasser ses peurs, et devenir des acteurs et des citoyens responsables. Pour Emmanuelle Duez, c’est cela qui est à la fois « flippant » et enthousiasmant.
A l’issue de cette intervention, les participants à ce petit déjeuner « punchy » ont pu échanger longuement avec Emmanuelle Duez.
Dans sa conclusion, Yannick Girault a rappelé combien les différents thèmes abordés par la fondatrice de WoMen’up et le Boson’s project entraient en résonance avec les préoccupations et les actions menées par Galilée.sp.
Enfin, évoquant un colloque organisé par la société Orange, Yannick Girault nous a invités à retrouver sur le net la vidéo d’un dialogue intergénérationnel de grand intérêt entre Michel Serres et Emmanuelle Duez sur le thème de « la révolution digitale, quels bénéfices pour l’Humanité ? ».