L’unité de partenariat et de recherche « Liberté, Sécurité et Justice » est de création récente. Quelques éclaircissements sur ce qui a motivé ce titre et l’ordre d’un énoncé sur le mode d’une trilogie méritent d’être apportés sur l’esprit qui a inspiré cette création.
L’irrésistible et envahissante progression du thème de l’insécurité et de sa place dans la vie quotidienne des Français y a sa part, tout comme les interrogations et les doutes récurrents qui pèsent sur l’exigence de justice et dont l’institution judiciaire est régulièrement accablée.
Mais il y a surtout les menaces et les inquiétudes qui en découlent, non seulement sur l’état et l’avenir de nos libertés, mais aussi sur l’enjeu politique majeur que constitue la prise en compte conjuguée des trois composantes de cette triade, et le défi de leur équilibre.
L’exigence de cette prise en compte repose sur un constat (I), qui implique une clarification (II) et explique les orientations de son champ de réflexion et de travail (III).
(I) Le constat : la vocation de la France est d’être un « espace de liberté, de sécurité et de justice »
Ce n’est pas un hasard si c’est la « liberté » qui inaugure ce triptyque conceptuel. La seule justification constitutionnelle de la sécurité et du recours à la force contraignante qui en découle est, en effet, de garantir l’exercice des quatre droits naturels et imprescriptibles de l’Homme et du Citoyen (DDHC 1789, art. 2 et 12), dont « la liberté » tient la première place. Ce n’est pas un hasard. C’est cette prévalence de la liberté qui fait de la France non pas un « Etat de police » (Carré de Malberg 1920, 488), mais un « Etat de droit » où « la liberté est la règle et la restriction de police, l’exception » (Concl. comm. gouv. Corneille, CE, 1917, 10 août Baldy, n°59855, Rec.638).
Cet Etat de droit est « indivisible ». Comme la République. Il n’est pas à géométrie variable et ne se débite pas en tranches. C’est un « Tout » qui répond à des critères bien identifiés dont celui d’une soumission absolue de l’action de l’Etat au principe de légalité, et où la liberté doit servir en permanence de boussole à la sécurité pour réaliser ces trois objectifs de valeur constitutionnelle que sont « la sauvegarde de l’ordre public » (Cons. Const., décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982), la « sécurité des personnes et des biens » (C.C., décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1980) et la « recherche des auteurs d’infractions » (C.C., décision 96-377 DC du 16 juillet 1996, considérant 16).
Ce n’est pas non plus un hasard si c’est la « justice » qui clôt le titre de cette trilogie. Elle le clôt, en effet, au double sens du terme. A la fois pour le « fermer » et pour « l’enclore ». A cette place, la justice accomplit l’ensemble de la triade. D’abord parce que c’est au juge qu’il revient de « dire le droit » subsumé par les principes fondateurs de défense et d’illustration des libertés et droits fondamentaux (Garapon et alii 2013), que ce soit pour « protéger » ou bien pour « punir » (DDHC 1789, art.6). Ensuite parce que l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle » (Constitution 1958, art.66). Mais aussi, parce que l’autorité judiciaire est la seule institution à être présente et représentée, et à intervenir à chaque phase ou moment de ce qui est improprement appelé la « chaîne de sécurité » qui va de la prévention à la répression. Voilà pourquoi, dans un Etat de droit la place de la sécurité est d’être « encadrée » par la liberté et la justice, et d’être « entre » la liberté qui est la « cause finale » (Aristote) qu’elle doit « garantir » dans les limites fixées par la loi, d’une part, et la justice dont elle est une « cause efficiente » (Aristote, ibid) et au service de laquelle elle doit se vouer et se dévouer, d’autre part. C’est à ce point d’équilibre entre liberté et justice qu’est sa juste place.
Cet ordonnancement permet de concilier le désir de liberté, le besoin de sécurité et la vertu de justice. Il donne à la sécurité l’occasion de tirer profit de la place médiane qu’elle occupe entre la liberté et la justice.
Cette place exclut, en effet, les alternatives binaires et réductrices, que ce soit liberté « ou » sécurité, ou encore sécurité « ou » justice). Elle rappelle quels sont les deux horizons de la sécurité en démocratie, et que c’est leur conjonction qui constitue la vocation et la justification de la sécurité.
Singulièrement, cette place médiane – « centrale » ? (Camus : « C’est pour cela que je me suis fait policier. Pour être au centre des choses. », Les Justes, 1949) -, constitue pour ceux qui s’y trouvent un point de vue d’exception qui donne l’occasion d’un éclairage inestimable et précieux sur les réalités humaines qui font l’ordinaire des jours de la sécurité. Qu’il s’agisse de l’impuissance, des errances ou des souffrances des victimes ou bien, autre versant, de l’arrogance, des outrances et des violences de ceux qui transgressent ou méprisent la loi. C’est le souci de « penser » la « sécurité » en relation constante avec la « liberté » et la « justice » qui explique et justifie l’intitulé d’une UPR qui est ouverte aux acteurs impliqués ou concernés par la « sécurité » dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice français.
(II) Une clarification : de quelle sécurité s’agit-il ?
Contrairement à ce qui s’est dit et écrit, ici ou là, la sécurité n’est pas une « liberté ». Ni la « première », ni la dernière. D’après ce que dit la loi depuis 1995 (loi n°95-73 du 21 janvier), c’est un « droit fondamental ». Mais ce droit fondamental est l’objet d’une bizarrerie et d’une singularité native. Bizarrerie d’abord puisque, d’une part il ne répond pas aux critères d’un « droit fondamental » de plein exercice (Granger 2009, 273-296), et que d’autre part, il s’apparente à un « droit-créance » qui ne semble pas avoir la qualité d’un véritable droit subjectif. Singularité ensuite puisque c’est « une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives » (code de la sécurité intérieure, art. L111-1). En toute logique, cela devrait faire de la sécurité une mission transversale globale de l’Etat concernant pratiquement toutes les politiques publiques, puisque la sécurité est, au sens premier, la « situation de celui ou de ce qui est à l’abri des risques » (Cornu 2014, 951), c’est-à-dire de tout « évènement dommageable dont la survenance est incertaine, quant à sa réalisation ou à la date de cette réalisation » (Cornu ibid. 930). C’est ainsi qu’on a assisté au fil des ans – mais au risque bien réel d’une véritable insécurité juridique -, à une prolifération luxuriante des différentes espèces de sécurité et de leurs propres variétés ou variantes : alimentaire, sanitaire, écologique ou environnementale, énergétique, nucléaire, urbaine, commerciale, économique, financière, informatique sinon cyber, routière, aérienne, ferroviaire, maritime, sociale, du travail, au travail, de l’emploi, de la défense, civile, publique, privée, intérieure, municipale, nationale… L’option de « prendre le terme de sécurité au sens objectif de toute action visant au maintien ou au rétablissement de l’ordre et de la paix publique » (Moderne in Vaujour 1980, 5-6), ne dissipe pas les difficultés théoriques et pratiques qui découlent du foisonnement du concept de sécurité. Elle tend même à les multiplier en raison du foisonnement analogue qui touche le concept d’« ordre public » et des inépuisables ratiocinations auxquelles donnerait inévitablement lieu la recherche d’un contenu à celui de « paix publique ». Pour pallier ces difficultés et ces risques, l’option la mieux-disante et la moins imparfaite a été de recourir à un concept ancien éprouvé qui est toujours en usage, celui de « sécurité publique ».
(III) – La « sécurité publique » : un concept ancien d’aujourd’hui
Ce concept intemporel consacré par le temps l’est aussi, quoi qu’insuffisamment, par les textes. Il a été préempté de longue date par la police nationale qui en a fait un marqueur capital de son fonctionnement, de son organisation et même de son identité, alors qu’elle n’en a pas l’exclusivité, comme l’indique le 2ème alinéa de l’article L.111-1 du code de la sécurité intérieure (CSI). Cet article énumère, en effet, toutes les instances – publiques et privées – qui ont vocation à intervenir dans le champ missionnel de la sécurité publique. Celle-ci fait l’objet du chapitre 1 er du titre 1er du livre 1 du CSI. Elle y dispute avec la « sécurité » le privilège d’être citée : mais deux fois seulement (dont une dans le titre), contre sept fois pour la « sécurité ». Définie par la doctrine comme « Élément de l’ordre public caractérisé par l’absence de périls pour la vie, la liberté ou le droit de propriété des individus (et) l’un des objectifs de la police administrative (prévention des risques d’accident) » (Cornu, ibid. 2014, 951), elle réalise pleinement sa vocation dans l’échelle de temps où elle doit se déployer – chaque jour qui passe -, et en étant orientée vers les bénéficiaires finaux naturels que sont les « citoyens-usagers- contribuables » de la République.
C’est cette « sécurité publique quotidienne » à laquelle l’UPR a choisi de consacrer ses réflexions, ses activités et ses préconisations.
Un ouvrage est en cours de rédaction sur « ses métiers et ses acteurs » pour la faire mieux connaître.
José Razafindranaly
Commissaire divisionnaire honoraire
Avril 2020