lundi 08 novembre
Hommage à Jacques Fournier organisé au Conseil d’Etat
Sous la présidence de Bruno Lasserre, vice-Président du Conseil d’Etat
Thierry Mignauw, Jean-Pierre Chevènement, Bruno Lasserre, Françoise Fabiani, Alain Arnaud
Intervention d’Alain Arnaud président du CIRIEC
Pour ses compagnons de route du CIRIEC, Jacques Fournier était un homme d’exception. Il aura passé son existence au service de l’intérêt collectif. Grand serviteur de l’Etat, infatigable militant de l’intérêt général, il n’aura eu de cesse partout où le destin l’a conduit, de promouvoir le service public, de militer et d’agir pour le rendre plus efficace et accessible à tous. Mais c’est aussi avec la conviction profonde que l’économie doit avant tout répondre aux besoins fondamentaux des personnes, qu’au-delà des mandats prestigieux dont il a eu la charge, il s’est engagé dans une réflexion plus approfondie sur les enjeux de la société et sur les modèles économiques qui permettent un meilleur développement humain, et qui préservent la démocratie. Il était encore président de la Sncf lorsqu’il a rencontré le CIRIEC dont il suivait les travaux et auxquels il avait participé pour certains d’entre eux.
Le CIRIEC l’intéressait, notamment pour son volet recherche sur les entreprises publiques au niveau international, mais aussi parce qu’il avait été créé en 1947 à Genève par un professeur d’économie politique français au crépuscule de sa vie, Edgard Milhaud, qui fut collaborateur de Jean Jaurès et proche de Léon Blum. Cette organisation internationale non gouvernementale, qui fût portée sur les fonts baptismaux par de grandes personnalités politiques, syndicales et scientifiques de l’époque, en marge de l’assemblée générale de l’OIT, avait pour objectifs la recherche et l’information sur les modèles économiques qui favorisent l’intérêt collectif, qu’ils relèvent de l’action publique ou de ce que l’on appelle aujourd’hui l’économie sociale et solidaire, à l’époque c’était plutôt l’économie coopérative.
Depuis, le CIRIEC s’est implanté sur tous les continents et il s’appuie actuellement sur un réseau de quelque 750 chercheurs et praticiens dans le monde, dont les travaux sont régulièrement publiés. Jacques Fournier y a pris d’emblée une part active dès 1995, devenant président de la section française du CIRIEC en 1996, succédant à des personnalités illustres telles que Léon Jouhaux, prix Nobel de la Paix, Paul Ramadier, Albert Gazier, Gabriel Ventejol qui furent les premiers présidents du CIRIEC-France, créé lui en 1950 sous l’égide d’Edgard Milhaud. Il présida également le CIRIEC-International de 2002 à 2004 lorsque ce fut le tour de la France.
De son arrivée au CIRIEC jusqu’à quelques semaines avant sa disparition, son engagement a été sans faille. De son lit d’hôpital, il suivait encore les travaux que nous menions, et apportait comme il savait le faire sa hauteur de vue, sa rigueur intellectuelle, souvent marquée d’impatience, mais qui l’amenait toujours à une critique constructive. Pour le CIRIEC, Jacques Fournier aura été un guide éclairant et inspirant, tant par la pertinence de ses analyses que par sa recherche permanente de compréhension de l’évolution du monde. Il tenait un blog sur lequel il commentait l’actualité politique avec sa clairvoyance et son sens de l’équilibre et de la mesure qui le caractérisaient. Il a publié de nombreux ouvrages, les plus remarqués étant Critique de la raison communautaire écrit en 1996 avec les professeurs Lysiane Cartelier et Lionel Monnier, ouvrage confrontant les notions d’utilité publique et de concurrence dans l’Union européenne, – Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, qui était le regard qu’il portait sur son parcours administratif, avec ses réussites et ses échecs, – L’économie des besoins, paru en 2013par lequel Jacques Fournier nous invitait à une réflexion sur les enjeux de la société et sur le sens que devait prendre le service public pour mieux satisfaire les besoins fondamentaux des populations.
Ses qualités d’organisation l’auront amené à diriger l’élaboration avec le professeur Philippe BANCE d’ouvrages collectifs de référence du CIRIEC, tels que Quel modèle d’Etat stratège en France (2016), Education et intérêt général (2018), Numérique, action publique et démocratie,dernier ouvrage paru en mai 2021 et que Jacques souhaitait présenter à la presse. La maladie ne lui en a malheureusement pas laissé le temps. Sa dernière apparition publique en qualité de président d’honneur du CIRIEC fut sa brillante intervention en introduction de la conférence des 70 ans du CIRIEC-France organisée le 26 octobre 2020 au Conseil Economique, Social et Environnemental, lieu hautement symbolique pour le CIRIEC-France car les deux organisations ont eu le même fondateur, Léon Jouhaux.
Personnage emblématique du CIRIEC auquel il a consacré une grande partie des 25 dernières années de sa vie, ce que beaucoup ignorent, Jacques Fournier était unanimement considéré comme un homme droit et sincère, simple dans sa relation aux autres, respecté et écouté. Sa disparition a créé un grand vide. Au CIRIEC, nous perpétuerons sa mémoire et conserverons sa pensée comme fil conducteur de nos travaux, car si le monde est en transition profonde, si les progrès grâce aux technologies numériques n’auront jamais été aussi rapides et tangibles, les problématiques humains restent les mêmes. Nous devons en effet avoir conscience que dans le monde tel que nous le voyons évoluer, l’avenir de nos sociétés passe par des modèles économiques qui organisent le partage, la solidarité, et non le chacun pour soi, qui respectent les droits de l’Homme et les droits sociaux, et qui préservent les biens communs et l’environnement.
C’était fondamentalement ce que pensait Jacques Fournier.