Ce 23 novembre 2015, répondant à l’invitation de Paul-Hubert Des Ménards, Galilée.sp recevait deux intervenantes pour un petit déjeuner ayant pour thème le design thinking :
- Véronique Hillen, diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris, l’ESCP-Europe et Doyenne de Paris-Est D.School, une école au service de l’innovation,
- et Marie Krier, urbaniste, responsable académique du département Ville Environnement Transport de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, responsable du Mastère Spécialisé Integrated Urban Systems à l’Ecole nationale des Ponts (Mastère IUS integrated Urban Systems + video .
Au menu de ce petit déjeuner, un mot d’ordre qui pourrait se résumer ainsi : « Soyons créatifs, mais restons modestes ! », un mot-clé : « innovation », et une citation d’Henri Bergson qui semble bien « coller » à la démarche du design thinking : « Agir en homme de pensée et penser en homme d’action »
Mais… Qu’est-ce-que le design thinking ?
Ces deux mots anglais ne se laissent pas facilement « traduire ». Lorsqu’on voyage sur la toile, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de définition « définitive ».
Ce concept est né en Californie, et David Kelley, professeur à l’Université de Stanford, et créateur de l’agence IDEO en a « fixé » l’expression. Selon Véronique Hillen, « faire avec empathie » serait ce qui définit le mieux ce que recouvre le design thinking.
Le livre de Tim Brown traduit en français sous le titre « l’esprit design » a permis de mieux connaître cette discipline qui cherche à être une synthèse entre pensée analytique et intuition. Une citation de ce même Tim Brown sur le site internet de la d.school permet de mieux comprendre de quoi il s’agit lorsqu’on parle de design thinking : « Le design thinking est une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et méthodes des designers pour permettre à des équipes multidisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité et viabilité économique. » (Traduction libre adaptée de Tim Brown, directeur général d’IDEO, HBR, 2009).
Culture d’exploration versus culture d’exploitation
Le design thinking invite à passer d’une culture d’exploitation « verticalisée » et axée sur le résultat à une culture d’exploration qui requiert ouverture d’esprit et désir de découverte. Mais comment définir une culture ? Qu’est-ce-que la culture française ? Les participants, sollicités par Véronique Hillen sur ces points, se sont rendu compte que cette notion de « culture » ouvre la voie à des définitions multiples, à des catégories et des points de repère différents, à des niveaux de subtilité peu perceptibles au premier regard…
Une culture à vivre…
Emmener un ami étranger au restaurant pour lui faire prendre conscience de ce que peut être la culture française peut constituer un début de réponse à la question posée. Il s’agit de faire vivre notre culture en passant par l’expérimentation. En la matière, le « design thinking » est une culture à vivre.
On « s’embarque » dans l’aventure avec un équipage, des outils de navigation et on invite les autres à embarquer ! Et pour cette expérience, en plus de la nécessaire ouverture d’esprit, il faudra cultiver notre capacité de créativité, d’adaptation, d’appropriation, en sachant que certains écueils sont toujours possibles : les mauvaises interprétations, les préjugés…
Pour une immersion plus avant dans cette démarche de « design thinking », Véronique Hillen recommande la lecture de « 101 repères pour innover grâce au design thinking», ouvrage téléchargeable gratuitement sur son site.
Le canapé rouge…
La « scénarisation » de l’espace est une composante essentielle de la démarche design thinking. En ce sens, le canapé rouge est là pour déstructurer la salle de classe traditionnelle, pour restructurer la relation sur de nouvelles bases. L’échange est différent, car l’espace est différent. Ce n’est pas toujours bien vécu, car ça bouscule ! Véronique Hillen indique qu’au début du partenariat d.school et école des Ponts (ENPC), il y avait beaucoup d’incompréhension et de polémiques autour de cet objet emblématique, certains considérant qu’ « on ne peut pas apprendre sur un canapé rouge » (sic).
Il s’agit d’aller ni trop vite, ni trop loin. Il est préférable d’appliquer la politique des « petits pas » pour aboutir à des transformations durables, dans un climat pacifique.
Un processus en 3 phases :
Il s’agit d’un processus itératif et non pas linéaire. Un projet peut aller et revenir entre les différentes étapes ci-dessous :
- L’Inspiration: on part du « terrain », il s’agit d’une étape d’observation, de contact avec les gens pour imaginer avec eux des solutions adaptées à leurs problèmes
- L’Idéation: permet de générer, de développer et tester des idées. Ce processus créatif est essentiel lorsqu’il s’agit d’innover. Il faut aller jusqu’au bout de l’idée pour FAIRE.
- L’Implémentation: à ce stade il s’agit de communiquer vers l’utilisateur, de passer à la phase de pilotage permettant d’aller vers la transformation attendue. L’objectif est d’introduire la solution imaginée et souhaitée dans la réalité.
Côté outils, on « ajuste », on « calibre » en fonction de la dimension du projet (ce sera différent s’il s’agit d’un projet pour un pays, ou pour un groupe d’individus). Mais l’objectif est bien de réaliser quelque chose d’utile pour quelqu’un. Ce qui est primordial, c’est d’AGIR, de réaliser.
La d.school : qu’est-ce-que c’est ?
Un consortium de 5 partenaires en partenariat avec l’Agence Nationale de la Recherche (pour les financements des projets)
ET
La d.school « vise à être un démonstrateur des pédagogies du futur avec l’ambition d’inspirer une nouvelle génération de formations en innovation de rupture par de nouvelles méthodes issues du design thinking comme celles formalisées à l’Université de Stanford (USA) ».
La d.school vise également une diffusion aussi large que possible de cette méthode du design thinking. Pour cela, elle favorise la mise à disposition gratuite de livres libres de droits, de vidéos présentant la méthode, ceci afin de susciter un phénomène de démultiplication, notamment en termes d’impact social. Les programmes et projets menés par la d.school sont présentés sur son site internet et permettent de se faire une idée plus précise des résultats obtenus dans des domaines aussi divers que la gestion des ressources dans un village malgache ou la mise en place d’un « parcours de santé » dans une maison de retraite.
Le design thinking et le secteur public
Les notions de bien public (public good) ou d’administration publique (public government) ont été étudiées sous l’angle du design thinking dans plusieurs pays tels que l’Australie , la Grande Bretagne, les Etats-Unis, le Danemark.
La démarche de design thinking centrée sur la créativité, l’interdisciplinarité, l’innovation, intéresse particulièrement Galilée.sp dont l’objectif est justement de mettre les fonctions publiques au cœur de l’innovation. Deux séminaires de créativité, animés par Paul-Hubert Des Ménards au cours de cette année 2015, ont permis à plusieurs membres de l’association de découvrir cette culture d’exploration et de l’expérimenter. Les résultats sont étonnants et donnent envie de poursuivre l’expérience, peut-être en collaboration avec la d.school…
Pour Marie Krier, le design thinking n’allait pas de soi… Mais vivre et faire l’expérience à partir du terrain pour faire émerger l’innovation l’ont convaincue du bien fondé de la méthode.
- L’approche terrain est nécessaire pour savoir pour qui et avec qui on travaille. Prenant l’exemple d’un projet de permis de construire unique, on est amené à se poser les « bonnes » questions, notamment pour déterminer qui va être impacté par une telle mesure.
- Dans la phase de prototypage, il faut faire confiance à l’imagination humaine, à la capacité à se projeter tout en restant dans le concret et avec un droit à l’erreur.
- Le retour d’expérience : Là encore, Marie Krier cite l’exemple concret d’une invention à priori bizarre, mais qui a aidé à trouver les bonnes solutions. Elle raconte ainsi l’expérience menée autour d’une « combinaison de vieillesse » qui reproduit les sensations et les désagréments physiques du grand âge. En acceptant d’enfiler cette combinaison et de se mettre de fait à la place de « seniors » touchés par ces problèmes, un architecte a compris ce qu’il fallait faire…. Et ne pas faire ! C’est souvent à partir de la personnalisation de la démarche, de la phase de « story telling » que la démultiplication et l’innovation deviennent des réalités. « L’utilisation du storytelling pour créer un momentum collectif, la réalisation d’un pilote (sous forme d’un prototype final par exemple pour démontrer la faisabilité technique) et une réflexion visuelle sur le modèle économique et une simulation des opérations si lancement sont parmi les outils clefs du design thinking ».
Ce qui est clair pour Marie Krier, c’est qu’en matière d’aménagement urbain « la ville durable n’est rien si elle n’est pas désirable » si on ne prend pas en compte l’expérience des utilisateurs et qu’il est préférable de faire des choses à petite échelle mais qui ont un véritable impact. Marie Krier pense qu’on ne comprend jamais aussi bien que quand on fait soi-même.
Le temps des questions et de l’échange
Ces deux interventions ont suscité de nombreuses questions, réactions, réflexions de la part des participants qui voulaient savoir quels types de projets la d.school avait mené à bien. Les deux exemples fournis par Véronique Hillen ont permis de mieux comprendre la « philosophie » et l’impact du design thinking.
- Des missions de type humanitaire ont été menées en Afrique. La particularité de ces missions ? Arriver les mains vides pour établir un diagnostic et faire avec la population. Faire exprimer les besoins du village. Redonner confiance aux gens pour « co-designer » en tenant compte des réalités du terrain. Rechercher des solutions en dehors des schémas humanitaires habituels (ceux qui donnent/ceux qui reçoivent. Respecter les partenaires.
- Le projet Lapeyre : en partant du constat que les salles de bains deviennent de plus en plus difficiles à « fréquenter » pour les personnes âgées du fait d’agencements inappropriés, il s’agissait de trouver les bons outils pour tenter de résoudre un VRAI problème et éviter que les seules solutions envisageables soient celles habituellement mises en œuvre : transferts vers la maison de retraite, l’hôpital, le matériel pour handicapés ; autant de réponses portant atteinte à la dignité de la personne âgée. A partir d’une démarche « insight » (car dans le cas présent, la démarche « terrain » est impossible à mettre en œuvre), les responsables du projet se sont rendu compte que les utilisateurs n’avaient aucun moyen de s’asseoir pour prendre le temps nécessaire à leur toilette et se sentir en sécurité. La solution retenue ? L’intégration d’un siège aux meubles de salle de bain, le concept’care.
Une école de la modestie…Et des petits pas !
Les projets réalisés dans le cadre d’un processus design thinking peuvent apparaître comme peu gratifiants, pas très « glamour » (sic). Il s’agit souvent de projets modestes, mais très utiles !
L’une des questions qui se pose à Galilée.sp dans son désir de transformation de l’action publique est de savoir dans quelle mesure le design thinking peut se révéler un outil capable de vaincre les résistances et les freins qui sont encore très présents dans l’environnement fonction publique. Le problème récurrent, c’est que tout le monde cherche une excuse pour ne rien faire !
A ce stade, l’échelle n’est plus la même que dans l’exemple précédent… Néanmoins, rien ne s’oppose à la démarche de design thinking en prenant des cas concrets, bien identifiés, en partant des réalités du terrain et en faisant valoir que la démarche est bien plus économique que les innombrables réunions de comités divers et variés… Dans ce cadre, Galilée peut apporter des sujets à traiter.
Véronique Hillen a été confrontée à ce problème : à l’ENPC, on ne lui a jamais dit oui…. Jusqu’au moment où on ne pouvait plus lui dire non ! Mais 4 mois ont été nécessaires pour atteindre le but ! D’après elle, le meilleur moyen pour avancer, sans trop se faire remarquer est de « travailler en dessous du radar » (sic)…
La règle des 100 %
Dernier point abordé par Véronique Hillen à l’occasion de ce petit déjeuner : la règle des 100 %, que tout « design thinker » digne de ce nom doit toujours avoir en tête !
- 100 % convaincu(e) : conviction personnelle à 100 % que c’est important dans notre vie, utile pour d’autres et que je dispose de la marge de manœuvre pour faire. Et tout le monde a une marge de manœuvre. Inspirons-nous de ce que font certains de nos voisins européens (allemands, scandinaves),
- 100 % responsable: On va le faire, … En tenant compte des réalités. Ne jamais perdre de vue l’utilité pour les gens.
- 100 % engagé(e): Aucune excuse de ne pas y arriver, que ce soit pour un projet d’une heure ou de 39 heures…
En tout état de cause, laissez faire les gens, faites-leur confiance. Donnons les moyens aux gens pour qu’ils améliorent eux-mêmes leurs conditions de vie. A ce stade, cela relève plus d’une question de confiance et de capacités que de moyens financiers.
Pourquoi ne pas croire que la vie peut être belle ?
En France, il semble bien qu’il y ait une résistance au bonheur…. Il faut penser qu’il n’y a pas de corrélation entre richesse matérielle et bonheur. Restons humbles. Faisons confiance à l’intelligence collective en nous inspirant non d’Einstein, « génie solitaire », mais plutôt d’Edison qui a su mener un travail collectif et révolutionner le quotidien des gens avec l’électricité….
En conclusion, faisons preuve de courage pour être convaincus, responsables et engagés !