Francis Massé Photo d’après LinkedIn
Rappelons-nous… C’était en 2020, dans le « monde d’avant », ce monde dans lequel Galilée.sp, comme tant d’autres associations avait encore la possibilité d’organiser des petits déjeuners « en live »…
Invité par Thierry Leleu, Secrétaire général de Galilée.sp, Francis Massé devait initialement intervenir lors d’un petit déjeuner programmé pour le 17 février 2020, puis annulé et reporté au… 16 mars…. Date emblématique, puisqu’elle marquait le début du premier confinement dû à la pandémie de la Covid-19.
Ce petit déjeuner a finalement pu se tenir le 8 janvier dernier, en mode virtuel, grâce à « ZOOM » l’un des outils numériques qui a permis à Galilée.sp de maintenir, voire de développer les « rencontres » entre conférencier(e)s, adhérents et sympathisants de l’association.
Au « menu » de ce premier « petit déjeuner virtuel » du 8 janvier, un thème très en phase avec les temps que nous traversons : URGENCES ET LENTEUR. C’est également le titre d’un des ouvrages publié par Francis Massé en 2017 et dont le sous-titre est une interrogation : Quel management à l’aube du changement de monde ?
Pour cette visio-conférence, Francis Massé avait choisi de changer « juste » un tout petit mot….: le « de » changement DE monde, est devenu « du » dans le titre de la conférence : changement DU monde » ce qui donne une nouvelle dimension et renouvelle le sens de ce sous-titre. La crise du coronavirus agirait-elle comme un accélérateur de particules, ou plutôt des réformes qu’il est nécessaire d’engager ?
Les vies multiples de Francis Massé
L’actuelle activité de Francis Massé, Président de MDN Consultants, ne saurait rendre compte à elle seule de la multiplicité de ses expériences professionnelles. Au vu de la présentation ci-dessous, ce « statut » n’est que l’un des avatars d’une vie consacrée au service public, à sa modernisation, à la compréhension d’un monde de plus en plus complexe dans lequel « l’État et l’administration doivent penser et agir en stratèges » (Extrait de la 4ème de couverture du livre de Francis Massé, édition 2017)).
A propos des urgences…
Francis Massé, à l’aide d’un diaporama (joint au présent article), rentre de plain-pied dans le thème de l’urgence, des urgences. De son point de vue de manager, il y a urgence à réagir face au lent délitement de l’Etat qui se trouve confronté à une multitude de crises qui se succèdent à un rythme de plus en plus rapide : crise écologique, énergétique, sociale, économique, politique, géopolitique et maintenant sanitaire… Comment alors, relever ces défis pour penser ENSEMBLE et co-construire l’avenir ?
Et la lenteur, c’est quoi ?
La lenteur, ce n’est pas la procrastination, remettre au lendemain… C’est prendre le temps de comprendre ce qui se passe, comprendre notre environnement pour déterminer quel type de décision on a à prendre, comment on va mobiliser les équipes et prendre les décisions AU MOMENT OPPORTUN. Si on « fait » trop rapidement, on passe à côté de l’essentiel, si on attend trop longtemps, la décision prise risque de ne pas être la bonne ! Pour étayer son propos, Francs Massé cite l’exemple d’un crash aérien à Taiwan qui a révélé que l’accident était dû à une mauvaise manoeuvre du pilote qui a pris sa décision dans la panique.
On pourrait résumer en disant que nous allons généralement trop vite dans la prise de décision et trop lentement dans la réalisation.
De la complexité du monde…
Notre écosystème est compliqué, complexe et il engendre moult complications ainsi que des ruptures, des mutations. Mais nous n’arrivons toujours à percevoir clairement si les événements qui nous affectent sont reliés entre eux, et si tel est le cas, comment ils sont liés, comment ils interagissent, pour pouvoir envisager des solutions reliées entre elles !
Les préjugés, les fausses croyances, les idéologies, nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est. L’intelligence « intellectuelle » ne peut pas tout, il faut aussi avoir l’intuition, l’intelligence de la réalité.
Il ne faut pas oublier que toute situation est systémique, GLOBALE, avec de multiples interactions : sociales, économiques, psychologiques, politiques…
Nous sommes aujourd’hui dans des mutations (crises) permanentes qui s’accélèrent. Alors, comment s’adapter à ce changement de/du monde ? Et comment la sphère publique peut-elle s’adapter à cette complexité, sachant que ce qui est compliqué est réversible, mais que ce qui est complexe ne l’est généralement pas… Et quand surviennent les complications, l’administration, faute d’avoir suffisamment étudié la complexité de la situation, agit dans la précipitation et pense s’en « sortir « par des mesures de simplification qui débouchent le plus souvent sur le résultat inverse de celui attendu. Parfois, on règle un problème…. En en créant plusieurs à côté !
Penser ENSEMBLE…
La structure en « silos » n’est plus adaptée à la complexité de notre environnement. Il faut que les gens se parlent et que se développent la transversalité et la coopération. Sinon, c’est la cacophonie qui guette…
Que faire et comment faire ?
Identifier les 3 lieux « d’inadaptation » à la résolution des situations complexes, là « où la décision est influencée et formalisée ». Le problème vient des structures, de la gouvernance et du management, avec une multiplicité d’organismes et de modes opératoires qui ne fonctionnent pas de manière transversale.
Le phénomène du « mille feuilles » territorial, à tous les niveaux, à la manière des « matriochkas » (poupées russes) ne vient pas simplifier les choses… Et les citoyens que nous sommes ont du mal à s’y retrouver !
C’est là qu’interviennent les deux autres composantes de ces lieux « d’inadaptation », qui peuvent constituer des « remèdes » aux maux qui viennent d’être décrits : la gouvernance et le management.
Un prérequis nécessaire : la prise de conscience collective
Si les problèmes sont liés entre eux, on doit être conscient que les solutions le sont également et que pour parvenir à des résultats positifs, il importe que les comportements et les mentalités changent pour permettre la mise en place de nouveaux processus, de nouvelles compétences qui requièrent principalement une véritable ouverture d’esprit, un bon niveau de culture générale, scientifique et technique. Avec en plus les « soft skills », c’est-à-dire les compétences cognitives et relationnelles, les capacités à comprendre la réalité.
Les enjeux du management, de la formation et de la transmission
A ce stade, l’intelligence en tant que telle n’est pas remise en cause. Simplement, il est préférable de parler d’entendement, de capacité d’adaptation, de compréhension, de prise en compte de la dimension collective des actions à entreprendre. Dans ce cadre, la variable-clé, c’est le management, – « le gouvernement de soi- et des autres »[1] – qui est là pour opérer les changements nécessaires, avec les 3 dimensions qui sont les siennes :
- La dimension individuelle, sachant que le « bon » management commence par son bien-être propre, la bienveillance vis-à-vis de soi-même
- Le management des situations, des problèmes à traiter : analyse, étapes à franchir pour trouver les solutions (culture du résultat)
- Le management des relations, des équipes, qui constitue l’élément le plus difficile, car il suppose une remise en question de soi-même, une remise à niveau pour mener à bien les réformes par exemple
Viendront s’y ajouter les deux autres éléments que sont la formation et la transmission. A condition d’investir en y mettant vraiment le prix !
Le service public, c’est le service du public
Francis Massé rappelle avec force et conviction que le service public est avant tout le service du public et qu’on n’est pas « dans l’entre-soi » (sic). Notre système doit être pensé au service du public. En tant qu’ancien Secrétaire général de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile, il met l’accent sur la nécessité d’être au service des avionneurs, des équipementiers, des compagnies aériennes, des aéroports. Pour le ministère de la santé, en « première ligne » du fait de la pandémie, le « service » ne concerne pas que les hôpitaux publics, mais aussi les cliniques privées, la médecine de ville, les laboratoires de recherche et… peut-être aussi le patient !
Forcer les évidences
A partir de sa propre stratégie comportementale, il s’agit d’oser changer de comportement en adoptant des attitudes de bienveillance, d’ouverture d’esprit, pour aller vers l’Autre, être aux côtés des autres, ce qui est essentiel.
Et faisons évoluer les choses dans le sens du concret, du réalisme, du pragmatisme !
Logotique et université du transport aérien
Pour mieux illustrer tout ce qui précède et pour conclure son propos, Francis Massé parle du concept qu’il a créé, la « logotique », c’est-à-dire une méthode globale de formation/action.
Enfin, il évoque la création de l’université du transport aérien (UTA), un concept innovant devenu réalité concrète en 2017, dont le but est de « mettre ensemble » des hauts fonctionnaires de la DGAC qui s’occupent de l’écosystème aérien avec leurs homologues managers, directeurs techniques de toute la filière du transport aérien (Airbus, Latécoère, Safran, Air France…) pour leur faire comprendre qu’ils sont au service de l’écosystème et pas à leur propre service tout en renforçant la cohésion de ce même écosystème.
L’idée maîtresse qui sous-tend cette démarche, c’est qu’ « on ne peut pas réformer que par le haut », mais qu’il faut rechercher les interactions entre le haut et le bas. Il n’y a plus alors les « sachants intelligents de l’administration centrale » et « les besogneux des services déconcentrés de l’Etat » (sic).
Enfin, Francis Massé pense qu’une itération vers l’extérieur est nécessaire si l’on veut réussir une réforme. Pour lui, si la RGPP (Révision générale des politiques publiques) n’a pas donné les résultats escomptés, c’est parce qu’elle a ignoré cette dimension et qu’elle n’avait pour objectif que le « cost killing » (la réduction des coûts…. Quoi qu’il en coûte !).
On a voulu faire des économies (l’exemple le plus marquant étant celui du secteur de la santé et des hôpitaux…) or, avec ce qui se passe aujourd’hui, il faudra dans un avenir proche faire la « balance » entre ce qui a été réellement économisé et les sur-dépenses engendrées par la crise du coronavirus.
Pour en savoir plus sur l’université du transport aérien (UTA), il suffit de cliquer sur ce lien pour visionner une courte vidéo qui fait le point sur le retour d’expérience des participants à l’une des sessions de cette université innovante.
Les mots de la fin
Seront ceux des 4ème de couverture de 2 ouvrages de Francis Massé :
« Aux frontières du management, manifeste pour un temps d’exigence » (Edition de l’Harmattan, 2015)
« Le management est l’une des clefs pour faire advenir une société meilleure, forte d’organisations efficaces. A cet égard, la notion de frontière fait sens. Le management s’inscrit dans une réalité, sinon il n’ est rien. Le management traverse aussi des découpages disciplinaires multiples qu’il doit relier : il est frontière. Il constitue enfin un levier pour transgresser des limites artificielles et élargir le champ des possibles, où règnent l’imagination créatrice et l’innovation. »
Et ceux de la nouvelle édition revue et augmentée du livre de Francis Massé, « Urgences et lenteur » (2020).
« Qui ne voit que la société est à vif, en colère, violente, et en proie à des peurs – anciennes qu’elle projette sur son futur ? Le pays, en dépit de ses vrais succès – trop souvent occultés, est accablé par ses échecs réels que sont les inégalités, – la pauvreté, une culture démocratique affaiblie, des injustices sociales. Une – inefficience publique constatée. – Alors, imaginons un État en résonance avec les ressorts profonds de la société – grâce à une Administration ouverte, apprenante, une Administration plateforme – au carrefour des nouvelles technologies, de la création et de l’humanisme. – Une Administration proche des gens et apte à conduire des transitions – aussi difficiles qu’indispensables. – À côté du Politique, les fonctionnaires, la bureaucratie française, centrale et – locale, ont tout leur rôle à jouer face à ces urgences et ces crises, face à la transformation – de notre monde. Ils méritent notre confiance car nous aurons besoin – encore davantage de services publics efficaces. L’inertie n’est plus une option ! – Faut-il, et pourquoi, changer les concepts, référentiels et modes opératoires – de notre système public ? – Dans cette seconde édition, l’auteur va plus loin dans les solutions à la crise – de l’État et des autres collectivités publiques, et dans l’analyse du rôle de – l’Administration pour apporter des réponses globales. – Ce livre s’adresse aux décideurs français et européens, publics et privés, – comme aux citoyens de l’Union européenne. Il traite de gouvernance et – de management, pour, en retour, une plus grande efficience de politiques publiques bénéfiques. – «
[1] D’après le titre du livre de Michel Foucault, cours au Collège de France, 1982-1983 EHSS Gallimard.